La Bouquine
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Jour de marché dans la Beauce

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Message par Menuiziebihan Mar 28 Oct - 11:10

Connaissez-vous la Beauce ? Oui , bien sûr la question semble un peu oiseuse, mais que voulez-vous il fallait bien commencer par quelque chose, placer une introduction, par ailleurs j’avoue avoir toujours trouvé un certain charme aux propos liminaires, certes c’est digressif en diable et cela allonge les phrases à l’excès, néanmoins ils apportent à tout cela une certaine couleur, une guirlande qui viendrait festonner l’ensemble. Vous voyez ce que je veux dire ? Formulons-le autrement, imaginez-vous un sapin sans guirlande ou pire sans cadeau à ses pieds ? Voilà ! Vous y êtes.
Mais nous nous égarons. Donc vous connaissez la Beauce : les cours de géographie sont passés par là, par ailleurs sans doute vous-êtes vous surpris à l’occasion de l’un de vos voyages à regarder par le hublot lors de la descente de l’avion vers Roissy et de vous émouvoir devant ces vastes étendues allant du marron clair tendance chaume au plus foncé : façon terres charruées, ou bien au moment des vacances pour ces inévitables et sacro-saints séjours e Bretagne, avez-vous emprunté l’autoroute qui traverse ses longues et monotones plaines, cause notoire de bien des assoupissements. Bref vous en avez entendu parler ou il vous est arrivé de la survoler ou bien de la traverser mais sans plus. Et très sincèrement qui s’en étonnerait ? Dans la Beauce vous êtes un peu au milieu de nulle part, enfin vous êtes surtout au milieu des plaines, l’horizon y est lointain et net : une belle ligne plus ou moins continue qui s’étire au loin, très au loin, et d’où émerge de temps à autre un clocher ou une éolienne, éventuellement un silo à grain mais pas plus. Les villages dans la Beauce se devinent de loin, leurs habitants aussi : ils bougent peu, prennent assez facilement la pose de poteau indicateur ou d’épouvantail. La vie y est atone mais l’air est vivifiant, les plaines dégagée, ouvertes à tout vent sont parfois les lieux les mieux adaptés aux enterrements aérés.

Dans les premiers temps, le citadin, moi par exemple, est surpris : à Paris si vous ne bougez pas on vous enjambera ou on vous donnera une pièce, ici c’est plutôt le mouvement qui fait désordre ; si vous sentez une vibration c’est qu’une moissonneuse-batteuse n’est pas loin, ou la ligne TGV, on se laisse distraire parfois. Il y a cependant des journées plus actives que d’autres, plus bruissantes de vie, presque de fébrilité, de ces moments de la semaine où le syndrome temporel, ou plutôt atemporel, y est moins sensible, c’est LE jour de marché. Oubliez ce que vous savez ou avez vu des marchés parisiens, ainsi que les éventuelles images d’Epinal que vous pourriez avoir à l’esprit quant au traditionnel marché de campagne. Dites-vous que le résidant local, dit aussi Beauceron, a découvert depuis belles lurettes le bonheur des grandes surfaces, donc le marché est une sorte de survivance, une habitude, un geste réflex, comme se gratter la tête : cela n’apporte pas grand chose et ne sert à rien, à part faire tomber les pellicules sur la veste bleu marine où on ne manquera pas de les remarquer, mais on le fait quand même.

Donc le marché est un moment social important dans la vie du village, il y apporte une agitation bienvenue, quasiment la seule avec les mariages, la fête foraine deux fois par an, et peut-être aussi le vide-grenier. Avec comme premier et parfois unique résultat de bloquer le centre-ville, ce qui d’ailleurs ne gène pas grand monde tant il est déserté le reste de la semaine et notoirement éloigné de tout axe de transhumance civilisatrice, aussi connu sous le nom d’autoroute. Certes le voyageur égaré, le transhumant de passage, le touriste étourdi pourra se retrouver sur un axe routier moins encombré, par exemple une route nationale, voire départementale, il verra ainsi de plus prés ces immenses étendues agraires battues par les vents, égaré dans sa solitude il sentira l’air pur mais poussiéreux de la campagne, il appréciera tout ceci mais restera encore fort éloigné de ces nids de vie que sont les villages dans ce coin de France. Il aurait du pour cela s’aventurer avec détermination, courage et un rien d’aveuglement, sur des axes moins engageants , plus sinueux, étroits et parsemés d’obstacles divers, ces voies communales au charme incertain, troublant l’étranger et isolant le local. Vous sentez déjà à quel point les qualificatifs sont présents, vous imaginez aisément les bas-côtés qui vous invitent aimablement à terminer dans les champs ou les nids de poule plus efficaces que le plus redoutable des dos d’ânes pour transformer votre trajet en gymkhana, vous augurez du tracteur intempestif avançant à son train de sénateur ou de la moissonneuse-batteuse progressant imperturbablement sur le macadam débordant majestueusement de chaque coté de la voie, vous forçant à visiter les faussés verdoyant de la campagne beauceronne.

Comme je le disais, aujourd’hui c’est jour de marché, la semaine n’est pas loin de s’achevée, la place, nombril du village, est fermée à la circulation, mais l’agitation et la fébrilité sont à peine plus sensibles que les autres jours : quelque chose comme le rythme cardiaque d’un marsupilami en état d’hibernation. Les étales ont pris leurs aises en rangs dispersés, il y a de la place, je m’installe à une table du café locale, j'avais hésité entre le Café du Commerce et le Café des Sports, seul un salon de coiffure les sépare, j’opte pour le Café du commerce. Installé à la terrasse en ce matin désenchanté, j’ais une vue imprenable sur la place du village, rien d’ébouriffant, plutôt neurasthénique en fait: trois façades sans beaucoup d’attrait, quelques commerces qui y ronronnent et entourent un espace goudronné formant un parking un peu défoncé, où quelques arbres éparpillés se donnent des airs de plumeaux géants, vision au charme incertain.

La place n'est pas bien grande mais largement assez pour accueillir la poignée de commerçants qui tentent mollement d’intéresser les quelques clients qui apportent l’animation hebdomadaire, je m’interroge sur ces vendeurs ambulants sans doute habités par la foi dans le Dieu Mercure, ou plus vraisemblablement poussés par la force de l’habitude. La concurrence n’est pas vive, et le chaland ne se presse pas. Il y a de tout, ou presque, de quoi se nourrir et s’occuper, nul ne fait la queue, on achète chichement, on discute longuement. Les paniers s’alourdissaient peu et les étales ne se vident pas.

Les mains accrochées à la canne et ne lâchant pas le porte-monnaie, elle balaie d’un regard sceptique la marchandise proposée, l’homme se tient derrière l’étal, ni déférent in indifférent, il attend, il la connait sans doute ; il est là toutes les semaines, elle aussi certainement, il est le seul vendeur de fruits et légumes, elle vient chaque semaine, cela fait d’elle une habituée. Elle prend son temps, de tout façon le temps elle en a à profusion, alors qu’elle est chiche d’argent et tout cela c’est de l’argent qu’il ne s’agit pas de dépenser à torts et à travers, aussi il faut bien choisir. Elle pèse du regard chaque pomme, chaque pêche, chaque brugnon, chaque endive, chaque courgette. La tomate fait bonne figure mais il ne s’agit pas de prendre celles du dessus, celles que tout le monde a pu toucher ou dont personne n’a voulu, bien sûr ce sont toujours celles-là que le marchand vous propose, Ben Dame ! Il cherche à écluser le médiocre tout en préservant son bénéfice, le bougre ! Mais çà ce n’est pas votre problème, alors il faut réclamer celles du-dessous, ou mieux encore celles qui sont encore dans les cageots, derrière, ce n’est pas tant qu’elles seront meilleures mais au moins on aura le choix, et si le marchand fait la tête, tant pis pour lui, c’est même plutôt bon signe, un marchand trop aimable, ce n’est pas bon, cela vous donne un air d’escroc qui se réjouit.

Indifférente à la file d’attente qui s’allonge, la vieille dame fait ses emplettes à sa manière et surtout à son rythme, elle pointe un à un, le fruit ou le légume de son choix, elle en estime le poids, en anticipe le prix, affiche une moue sceptique quand le celui-ci est énoncé, réfléchit, opine, se saisit du paquet que lui tend le marchand, le met dans le cabas avec précaution, quelques difficultés et beaucoup de lenteur. Elle se redresse enfin, regarde le reste de l’étal, hésite entre tomates et courgettes, elle avance lentement, le corps chenu, le dos voûté, les jambes grêles, la canne un peu tremblante, il ne s’agit pas de se hasarder à aller trop vite, la lenteur est une nécessité qui a parfois son bénéfice : derrière elles les clients s’agglutinent, ils semblent fébriles, pressés de quoi ? il ne sauraient trop le dire, ce n’est pas qu’une brûlante nécessité les requiert en d’autres lieux ou à d’autres tâches, mais voilà plus le temps s‘étire et s’offre à vous pour rien et plus le sentiment d’urgence semble vous envahir pour finalement vous habiter totalement.

La dame regarde, suspicieuse, les endives sagement rangées dans leur cageot, en ligne compact, en choisit deux, en-dessous, encore protégées par le papier, à côté les pommes de terre ne semblent pas lui convenir, finalement une courgette ira rejoindre un trio de tomates. Cela suffira pour la journée, il est temps, bientôt midi sonnera au clocher, l’heure de préparer le déjeuner, l’heure de quitter le marché.
La salle du café raisonne des salutations des entrants, des discussions entre tablées et éventuellement des quelques plaisanteries locales qui animent le comptoir, les cafés circulent, les bières aussi et les verres de vin ne sont pas absents.

Les tenanciers du lieu affichent, voire étalent, un gout prononcé et assumé pour les Etats-Unis , surtout son folklore ainsi qu’une passion évidente pour Johnny Halliday, à voir le comptoir j’étais , c’est certain, chez un aficionados affirmé : cela va de la statuette à l’effigie de notre gloire nationale à l’inévitable photo dédicacée y compris un cliché du propriétaire du lieu dans une tenue qui fait immanquablement penser à son idole. Souvent une vague musique de Country sort d’un jukebox recyclé, des objets hétéroclites ont trouvé plus ou moins une place le long ou sur le mur, dans une encoignure ou sur un rebord de fenêtre ou une étagère : photos, publicité Coca cola ou pour un dentifrice, casque, gant ou bat de baseball, casque ou ballon ou de football (football américain bien sûr), horloge murale, très vintage. Pourtant la salle reste presque banale avec les tables et les chaises en plastiques, pratique et sans gout. La clientèle est locale, elle ne fait plus attention depuis longtemps à la décoration murale et apprécie la rusticité pratique du mobilier.
En sourdine on reconnait Claude François qui joue les fonds sonore, je l’écoute vaguement par delà le brouhaha des discussions et des gens qui s’interpellent, il me semble reconnaître une chanson, mémoire incertaine, jamais été un de ses fans, un instant je l’imagine s’agitant sur une estrade dans l’indifférence des consommateurs qui sirotent leur café ou leur bière en regardant les résultats du tirage qui s’affichent. Un journal traine sur la table, le titre est de circonstance, les termes accusateurs, le contenu s’affirme solide, mais cela n’intéresse personne, quelques uns regardent distraitement la Une, passent à la page des sports, vérifient les résultats et rejoignent les autres au comptoir.

Dehors un animateur vante les qualités des produits d’un des commerçants locaux, on l’écoute à peine, tout au plus une petite grimace car il faut un peu hausser le ton tant il s’époumone dans on micro, heureusement on n’a pas grand-chose à dire. Soudainement notre bonhomme est pris d’excitation, un tirage au sort est annoncé Attention mesdames et messieurs! Il y a un gagna t pour ce magnifique ballotin au chocolat fait par monsieur Béranton, pâtissier à Dumel sur Augis, et qui chaque semaine vous propose ses excellents chocolats, et monsieur Béranton, pâtissier à Dumel sur Augis, vous propose aujourd’hui même de gagner un de ses excellents et réputés ballotins au chocolat. Ah Mesdames et Messieurs, il y a des chanceux qui vont se régaler, je vous le dis. Et c’est donc le ticket 11, Mesdames et Messieurs, le ticket 11 qui est le ticket gagnant de ce tirage, qui est donc l’heureux détenteur du ticket 11 qui est celui ou celle qui va pouvoir profiter de cet excellent ballotin au chocolat fait par monsieur Béranton, pâtissier à Dumel sur Augis ? Un petit mouvement dans l’assistance clairsemée de ce vendredi matin, un couple s’approche, timide mais souriant, l’enthousiasme stipendié de l’animateur semble presque contagieux, celui-ci a repéré leur lente progression dans la masse atone. Mesdames et messieurs nous avons un gagnant, ou une gagnante, car c’est un couple ! qui va partir avec cet excellent ballotin au chocolat fait par monsieur Béranton, pâtissier à Dumel sur Augis . L’homme conclut sa diatribe par un petit mot sur le maire, qui est là, souriant et emprunté et la bourgade dont nul n’aura ignoré la spécialité sucrée de monsieur Béranton , pâtissier à Dumel sur Augis.

Puis, enfin , le silence se fait, il ne durera pas longtemps, quelques minutes plus tard, un nouveau tirage au sort mettra en jeu un autre excellent ballotin au chocolat de monsieur Béranton, pâtissier à Dumel sur Augis.

C’est bientôt le milieu de la journée l’heure du rosé ou du demi de bière, toutes les tables sont occupées, les discussions épisodiques, le regard vague et le nez dans le verre, un vieil air de rock suinte maintenant des enceintes, anachronique et ignoré. Quelques têtes sont tournées vers l’ écran accroché au mur, des numéros s’y affichent, un tirage est en cours, dans la salle une femme les énonce pour le bénéfice de ceux qui sont concentrés sur leur ticket, le tirage est fini, certain se lève pour rejouer ou toucher leur maigre dû, les discussions reprennent ou démarrent, en attendant le prochain tirage, c’était l’activité du matin. La tenue est décontractée, un rien affaissée, chemises froissées et pantalon de velours élimés en accordéon, tenue de jogging dépareillée, jupe d’un autre âge, les coupes de cheveux étaient assez uniformes : crane dégarni et casquette pour les hommes et mis en pli hasardeuse ou cheveux en broussaille pour les femmes. On discutait sans trop de vigueur, les propos inarticulés s’échangeaient entre deux silences, on avait une matinée à tuer s’agissait d’y mettre le temps, pour le peu qu’on avait à dire , inutile de tout balancer dés le début.
Le patron surveille vaguement son petit monde, distribuant café et mousse avec indifférence et célérité, visage impassible, un rien l’air grave, il est le maître du lieu.

Midi sonne enfin, les tables se vident laissant la place à une autre vague d’habitués, chacun a ses heures, il ne s’agit pas d’y déroger. Les bleus de travail vont remplacer les tabliers usés et les regards fatigués, les demis de bière et les canons de rosé continueront à circuler, dans le brouhaha de fourchettes et des couteaux, le déjeuner se déroulera comme chaque jour, le menu sera sans surprise, le vin pas cher et le café compris.
En quittant le lieu je croise une voisine qui me demande si j’appréciais le calme du village, je lui souris, elle prend cela pour une approbation, elle hoche la tête avec satisfaction, je me sens comme le paroissien qui venait de donner quelques pièces à la quête, satisfait de sa charité qui ne lui a pas coûté bien cher.
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