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Galère vers le vide (version longue, en fait en devenir...permanent)

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Message par Menuiziebihan Lun 2 Fév - 15:19

Il fait beau, il fait bon, paysage vert, ciel bleu, le bleu d’une fin de journée d’été, un bleu profond, puissant, qui accompagne une fin de journée agréable pour le cadre qui rentre chez lui, je suis dans une foule à laquelle je n’appartiens pas, usurpateur ou imitateur d’un soir. Demain ma barbe repoussera, lentement, grisonnante piquetée de blanc, de moins en moins grisonnante, de plus en plus blanche. Au café où je me suis arrêté avant l’entretien, dans une glace j’ai vu mon visage, mon père, étonnant de ressemblance, j’ai vu aussi un homme âgé. Aucune raison qu’ils aient vu autre chose. Bien sur je leur en veux mais au moins eux me l’ont dit, sans fioriture, du direct servi droit dans ma gueule, curieux je n’ai rien ressenti, enfin pas grand-chose, un léger poids supplémentaire sur mes épaules, un peu plus de fatigue. Dommage qu’il n’y ait pas de rhum chez moi, je crois que j’aurai bien pris un verre, cela fait un peu cliché, c’est vrai mais j’aurai bien pris un verre, quitte à être dans le cliché autant y prendre quelques plaisirs. Cela fait deux ans, deux ans à descendre les marches. Etait-ce écrit quelque part ? De toute façon le savoir n’aurait pas changé grand-chose. Demain ou après-demain, je ferai un peu rapidement mon sac, quelques vêtements entassés, rien d’encombrant, je partirais de ce lieu, absent quelques jours, quelques semaines, quelle importance ? Direction ailleurs, quelqu’il soit, il sera loin de tout rappel de ce naufrage quotidien.

Pour certains je suis un parasite, pour d’autres une statistique, pour quelques uns, les spécialistes, un problème analyser à longueur de suppléments économiques, et pour ceux qui m’entourent, éventuellement un sujet de compassion pour quelques uns, plus raisonnablement une sorte d’épouvantail, un handicapé social, celui qui a été atteint par ce fléau, cette peste sociale, que l’on craint autant que l’on fuit : le chômage. Voyons le bon coté des choses : je n’ai pas d’invitations à rendre, économiquement c’est plutôt intéressant. Je reconnais que jouer les parias cela vous plombe un peu le moral, il y a des jours ou vous n’avez vraiment pas envie d’être en tête à tête avec vous-même, mais on arrive à meubler ce vide qui vous envahit lentement, la nature est bien faite, vous vous engluez lentement dans ce quotidien d’inexistence, d’oubli et d’abandon, un rien vous occupe, vous distrait, le pas est un peu plus lourd, il vous fait un peu plus de temps, ce temps, cette richesse inutile que vous avez à suffisance.

C’était il y a un peu plus de deux ans, plus exactement 25 mois. Un entretien bref, le propos ne se voulait pas désagréable, il l’ait rarement d’ailleurs, mais voilà on tirait le rideau, en fait on me tirait le tapis sous les pieds mais çà j’aurai le loisir de m’en rendre compte plus tard. Je n’ai pas bronché, pas d’indifférence, ni de contrôle de soi, bien au contraire, figé, j’étais figé pendant qu’une chape de froid coulait sur moi, et en moi, mon sang n’était qu’une rivière glacée qui n’épargnait aucune partie de mon corps. Pourquoi parle-t-on d’une douche froide ? S’est vrai c’était froid : cela partait du ventre pour envahir tout le corps, l’estomac se noue, la nuque se raidit, le corps se tétanise, bloc de glace, pendant ce temps-là il parle, presque heureux de mon peu de réaction, inconscient ou indifférent de la vague qui m’emporte, il se lève, c’est fini. Il partait en vacance, il était pressé d’en finir avec cette corvée, se fut vite traité, pour moi le moment du temps élastique commençait. Ce soir là je descendais ma première marche, un long escalier sombre, s’ouvrait devant moi, chaque jour, chaque semaine me verrait m’enfoncer un peu plus dans le clair obscur de ces volées de marches qui ne savent que descendre. Chaque jour, chaque semaine, le monde s’éloignera, les amis se compteront, les appels, les messages, les emails tout cela ce fera moins nombreux moins présents, la solitude, chaque jour un peu plus, se fera compagne.

Et finalement de cette solitude on y trouvera quelques bénéfices, au moins elle vous encombre pas de condescendance, voire pire encore, de conseils, abrupts, comminatoires autant qu’inutiles. Plus les conseils pleuvent plus les solutions se font rares. Très vite cela devient fatiguant, au début on est poli, voire obéissant, à la fin, eh bien à la fin on préfère sa propre compagnie, la solitude a au moins ce bénéfice qu’on s’évite les leçons de morale et les regards. Ah ! Ces regards qui vous font sentir à quel point vous existez si peu, aucun mépris juste de la transparence, incroyable comme cela peut peser sur vos épaules cette inexistence qui m’envahit. C’est insidieux, rien de brutal, le temps est une pierre-ponce qui prend son temps, et un jour, c’est fait, vous n’êtes plus dans le paysage, gommé, abrasé, disparu.

Personne ne vous le dira, les gens sont polis, on vous laissera le découvrir, les appels que l’on ne retourne pas, les messages sans réponses, les invitations qui disparaissent, les questions que l’on ne vous pose plus, cette compassion tellement gênée que l’on préfère vous oubliez, c’est plus simple, moins désagréable. Vous ne pouvez pas leur en vouloir, vous êtes le miroir déformant du cauchemar de chacun, qui a envi d’avoir un cauchemar à table ?

Vous ramez vers le vide, galérien isolé vous voila pris dans un triangle des Bermudes entre vos quatre murs.

Ce matin je regardais par la fenêtre, quelques voitures passaient, on était loin de la circulation de la semaine, les voitures à l’arrêt ou qui avancent au pas, Samedi : rien pour me rappeler que je n’appartiens pas au flot des salariés pressés, ou bloqués dans leurs voitures au milieu du trafique matinal, toute à l’heure quand j’irai prendre mon café, installé à la terrasse, je serai parmi la multitude, bienheureusement noyé au dans le mouvement général.

Il est tellement plus agréable d’être perdu dans la foule que sous le regard sceptique et scrutateur de ceux qui vous connaisse.

Car vous découvrez que tout ceci inspire votre entourage, chacun y va de son conseil, et même de ses conseils, prolixe en avis avisés mais chiche en solution. Comment s’en étonner et pourquoi leur en vouloir. Gardez-vous bien de leur faire remarquer l’incertain de leurs conseils, qu’ils ne s’appliqueraient d’ailleurs sans doute pas à eux-mêmes, car il y a une évidence qui s’impose à vous et que vous seriez mal avisé de contester : ils ont un emploie, une situation, un statut social, pas vous : l’erreur est donc de votre coté, et la raison de leur coté. C’est ainsi, le contester ne servirait qu’à démontrer votre mauvaise volonté, et votre mauvais caractère, presque votre asociabilité, causes évidentes de votre situation. Vous pouvez vous plaindre mais non-point objecter, encore faut-il que ce soit exprimé de façon brève et discrète. Par contre il vous faut savoir accueillir les conseils avec un minimum d’intérêt, si ce n’est d’enthousiasme, jetez aux orties votre esprit critique, et même affalez les voiles de votre intelligence, bienvenue au jardin d’enfant. Il faut vous y faire, car enfin il est curieux que vous ne compreniez pas que vous avez échoué.

Alors je les écoute, tout en rongeant mon frein, je laisse, en tout j’essaie, le flot des propos compatissants ou sévères se déverser, injustes ou faux, blessants ou détestables, péremptoires ou étonnés. Certes les statistiques devraient pouvoir donner quelques motifs à se justifier, mais ce n’est pas mieux : le reconnaitre c’est admettre que cela peut arriver aux autres, je ne suis plus un échec mais une contagion, un handicap contagieux, on ne me fuira pas, on m’évitera, et quand d’aventure mon chemin croise les pas de ceux qui m’ignore, dans un couloir étroit d’un souterrain vide, je vois mes interlocuteurs , moins désespérés qu’ennuyés, se demander comment ils peuvent abréger la chose.

Alors j’abrège, abruptement, une raison de plus, aimablement fournie, pour m’éviter plus tard.

Que puis-je leur dire qu’ils comprendraient ou qu’ils voudraient entendre ? Leur parler de l’estomac qui se noue quand la semaine commence, que le lundi matin pointe son nez et que je sais la vie qui loin de moi s’organise, chacun de se plaindre du train après lequel il faut courir des bouchons qu’il faut affronter, de la réunion qui va commencer et du patron aigri qu’il va falloir subir, faut-il que je leur dise combien je rêve de toutes ces avanies qui me sont refusées , et l’attente, vaine, désespérément vaine, c’est un naufrage qui prend son temps mais qui chaque semaine, chaque moi devient plus inéluctable, douloureusement inéluctable. Au début, armé de mes précieux papiers, des documents requis, je suis allé dans ce bâtiment moderne et propret dans un quartier d’affaires, l’immeuble est anonyme, on ne saurait leur en vouloir, le logo de Pole-Emploi pourrait faire désordre. Me voilà face à l’inutilité assumée de cette machine administrative, je suis assez vite confronté à l’affable incompétence de ceux qui, me disent-ils, sont en charge de mon dossier, dossier qu’ils se chargeront d’ailleurs de faire traîner, le papier est volatile et les mains malhabiles, ma patience sera mise à contribution, au final j’en viens à apprécier leur inutilité quand je suis confronté à leur nocivité.
Plus étonnant, mais on finit par s’y faire, ils sont tellement convaincus de leur propre incompétence qu’ils éviteront soigneusement ce qui pourrait, ne serait-ce qu’un tant soit peu, apporter une once d’efficacité à ce brassage d’air : l’initiative la plus simple, l’idée la plus primaire, le conseil le plus judicieux, l’action la plus immédiate, tout cela sera soigneusement occulté, mis de coté, ignoré, voire fuit. L’inefficacité et l’incapacité deviennent axiomes, prédicats , évidences. Il n’y rien de laxiste, uniquement une fatalité admise et intégrée qui s’impose et nous dépasse : une vérité ineffable.
Je n’avais donc aucune raison d’être ni étonné ni déçu, en tout cas je ne pouvais être surpris. Exaspéré sans doute, qui ne le serait pas, et puis mon dieu on a toujours quelques velléités à voir les choses avancer, s’améliorer, prendre un cours plus heureux.

C’était d’ailleurs sans doute le plus insupportable, cet espoir ridicule qui vient, malgré vous, vous laissez espérer des lendemains qui chantent : l’ami qui vous a ouvert la bonne porte, le recruteur qui fait fi de votre âge, le patron qui croit en votre enthousiasme. Et peut-être cette impossibilité très humaine de rester dans ce désespoir permanent. Avec au bout du chemin l’inéluctable évidence de la chute, de ces marches qu’il faudra descendre plus ou moins vite, de l’appartement qu’il faudra quitter, la famille qui inévitablement éclatera, la misère est un coin redoutable qui s’enfonce dans la moindre fissure fut-elle ignorée de chacun. Le couple part en morceau, c’est d’ailleurs la meilleure solution, se côtoyer tous les jours quand on a perdu cette habitude des décennies, ce n’est pas simple, compter chaque sou c’est pire encore, puis viennent les questions les autres celles qu’au début on ne posait pas, fruit de bien des interrogations, alimenter par les avis de chacun et leurs fameux conseils. Alors il faut se défendre, se justifier, à ce petit jeu on se fatigue vite, les portes claquent, elles claqueront souvent, de plus en plus violement, puis plus du tout, la solitude enfin.
La solitude des cafés, des rues, des couloirs, la solitude de ce lieu où vous avez vécu et qu’il faudra bien un jour quitter, question de temps, de mois, vous le savez, c’est inévitable , le penser est insupportable, le dire pire encore, alors vous vous taisez. Vous vous taisez devant ce vide qui s’annonce, sans violence, peut-être celui de votre désespoir, de ces nuits sombres que l’on dit blanche, des ces matins immobiles chaque jour plus insupportables, et de ces larmes qui ne viennent pas, d’ailleurs à quoi bon.

Quels mots a-t-il utilisé ? Ah oui : je n’avais pas l’ADN, terme fourre-tout qui permet de tout justifier, y compris et surtout vos rides, vos cernes, vos cheveux grisonnants, il a les mêmes mais il est du bon côté de la table, pas vous. Il ajoute au cas où, qu’il doit tenir de l’équipe de sa culture, sa dynamique et d’ajouter presque cynique : « Moi-même je passerai presque pour un dinosaure ». J’ai connu plus subtil.

Je le regarde en souriant, l’envoyer promener c’est tentant, en un temps je l’aurai fait, je crois même qu’au début de cette galère je l’ai fait. Je pourrai bien sûr lui demander ce qu’il veut dire par ADN ? Je vois venir tout un cortège de réponses possibles : du genre « vous êtes bien le premier à poser la question » ou « ce que l’on entend tous par ADN » ou bien « si ce n’est pas évident pour vous c’est grave », ou encore une kyrielle d’autres phrases toutes faites du même tonneau, alors je reste aimable, presque affable et je le quitte enfin après une poignée de mains respectueuse. Inutile de demander quelle est la suite : la réponse est dans son sourire, c’est la fin de l’après-midi , la soirée sera à peine commencé qu’il m’aura déjà oublié. Mais moi demain, après-demain et les jours d’après , je ressasserai encore cet entretien où, assis dans ce fauteuil, je sentais tout le poids du ridicule et du médiocre : comment ai-je pu oser croire qu’il y avait une solution a ceci ?

Le retour fut long, j’avais quitté depuis quelques temps cette commune , certes sans grande personnalité, mais ouverte sur les bois à quelques encablure de Paris, et surtout qui m’avait vu enfant, adolescent, étudiant, m’initiant à la vie de couple, marié, chef de famille, cadre actif, au revenu confortable. Tout ce qui vous pousse à croire les choses immuables alors qu’assis dans son coin , tranquillement le destin attend son instant pour vous tirer le tapis sous les pieds. Il se gondole déjà de rires à l’idée de la bonne blague qu’il va vous faire, bien sûr il n’y aura pas foule de spectateurs, mais il s’en tape, des blagues comme celle-là il en fait tous les jours et des plus cruelles souvent. Celle-là a le charme de la durée, on le fait une fois et ensuite on regarde le bel édifice s’effondrer, quand le château de cartes se prend des velléités de résistance on aide un peu au mouvement, un petit coup ici, un petit coup là, et les cartes recommencent à dégringoler, c’en est à hurler de rire. Que disait Shakespeare : « La vie […] : une fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, Et qui ne signifie rien. », ne jamais oublier ses classiques, cela ne change rien au cours des choses, çà le rend moins insupportable, et au moins le bonhomme ne me fera pas de commentaires à me voir assis à ce café en milieu de journée à parcourir ses textes. Lire ? Oui il m’arrive de lire, souvent même mais l’attention se fixe difficilement.

J’aime bien cette expression : fixer l’attention, c’est comme les couleurs, un tissu qui ne fixe pas les couleurs, les couleurs glissent, déteignent, s’estompent, je ne fixais pas les textes qui s’étiolaient dans mon esprit laissant une vague ombre incertaine, quelque chose de flou, les mots, les phrases se raccrochant sans rapport aucun.

Moi-même je ne fixais plus les mémoires, je le voyais bien, le silence du téléphone, de la messagerie. Au début, enfiévré par une énergie qui se refusait à tout doute, je m’étais transformé en stakhanoviste de la candidature spontanée, du message direct et efficace, le relançais mon réseau comme on dit, j’avais bien suivi toutes les recommandations des grands pontes du sujet, de ce que l’on m’avait expliqué dans des séminaires dédiés et ce que tous les articles m’expliquaient à profusion. Les échanges téléphoniques étaient fréquents, les entretiens n’étaient pas rares. L’espoir, poison lent, narcotique délétère, m’animait, me poussait en avant. Quelques mois plus tard , de nombreux mois plus tard, il viendra demander le remboursement de son dû, tout se paye n’est-ce pas, et l’acide alors coulera en vous, tordant l’estomac, révulsant le cœur, réduisant à rien vos synapses, il aura raviner votre peau, dissout votre énergie, éteint votre regard, guettez ce signe quand on vous trouvera amaigri. Inutile de vous regarder dans le miroir, vous connaissez la réponse.
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