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Lettre de mon arrière Grand-Père pendant la guerre de 70

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Message par Patrice Sam 22 Nov - 19:23

Mon arrière grand-père, Henry Fénelon Malavieille n'avais pas été appelé pour la guerre de 70 mais il s'était engagé volontaire. Son récit de galère - des journées de marches dans la neige sans équipement et même sans cartouches - est d'autant plus émouvant qu'à la date où il écrit cette lettre il ignore que Paris a capitulé depuis plus de 10 jours, que l'armistice a été signé et que les armées ont reçu l'ordre de cesser les combats. Je vous la livre:

Meximieux 11 février 1871

Cher ami Asson,
Je ne sais si tu as répondu à la lettre que je t’avais écrite de Satenay. Je ne sais pas même si tu l’as reçue ainsi que la photografie qu’elle contenait ; car je n’ai rien reçu. Il est vrai que lorsque tu as du la recevoir je ne devais plus être à Satenay. Enfin en attendant que tu me répondes, voici ce que j’ai fait depuis ma dernière lettre. Le surlendemain du jour où je t’écrivis je me couchais comme l’ordonne le règlement à huit heures du soir, à 11 heures un sergent vient nous réveiller et nous dit que nous partirons le lendemain à 9 heures du matin pour Besançon. Vite on se lève on fait son sac enfin on ne dort rien de toute la nuit. Le lendemain le départ était retardé à 11 heures.
Alors nous montons en wagons toujours les mêmes ni de 1ère ni de 2e classe pas même de 3e, des wagons de cochons pour dire le mot, il faisait quatre degrés de froid nous avons resté là-dedans jusqu’au lendemain midi (25 heures) c’était là notre apprentissage du froid mais ce n’était rien encore. En arrivant on ne nous fait pas même entrer dans Besançon car la gare est en dehors des murs de la ville. Nous allons à un hameau nommé St Claude on nous loge 140 hommes dans une maison de plaisance on nous envoie chercher la paille pour faire notre chenil, c’est là que nous avons commencé à faire la soupe dans les marmites de campement il ne faut pas être dégoûté pour la manger quand on la voit faire mais l’appétit aidant elle était fort bonne.
Au bout de deux jours ou plutôt la seconde nuit que nous couchions là nous entendons battre la générale vite on se lève on ramasse tout on prend les malades sur les épaules on se réunit à peu près à deux cent mètres de la maison alors le colonel arrive et nous dit d’aller nous coucher que ce n’est qu’une alerte. Le lendemain à huit heures du soir encore la générale nous nous réunissons et nous partons, nous traversons Besançon à 11 heures du soir, défense absolue de parler, nous sortons silencieusement de la ville et nous nous dirigeons du côté de la montagne, il y avait là 9000 hommes, 3000 de la Drôme, 3000 de Vaucluse 3000 de l’Hérault pas une cartouche. Nous marchons jusqu’à 3 heures du matin à moitié chemin nous étions rentrés dans la neige il y en avait un pied. Les 3000 de la Drôme dans un hameau nommé Saône il faisait un froid intense nous grelottions, on nous met dix dans une famille qui n’avait qu’une chambre, nous entrons, la femme se lève, elle n’a pas sauté à bas du lit que nous nous jetons à trois à sa place et nous nous endormons jusqu’au lendemain.
A midi le rappel il faut repartir nous faisons 2 kilom. dans la neige, nous arrivons à Ornans chef-lieu de canton jolie petite ville il était huit heure du soir, cherchez vos logements vous-mêmes nous dit-on réquisitionnez, je cours vite devant j’arrive chez une marchande de chaussure elle nous reçoit très bien nous fait chauffer. Le lendemain à 1 heure du tantôt exercice, j’étais sur les rangs quand le commandant demande des boulangers je me présente avec Roux on nous envoie chez un boulanger qui nous fait manger boire fumer des cigares Suisses il nous dit que le lendemain nous nous lèverions à 1 heure du matin pour pétrir, en effet le lendemain nous nous levons à 1 heure nous faisons trois fournées je n’avais jamais fait de pain pourtant je m’en sortis bien. A dix heures le patron nous dit d’aller nous reposer, nous partons pour aller voir les amis ils étaient partis depuis deux heures. Alors avec Roux nous partons sur les traces de la colonne nous attrapâmes les bagages au bout de dix kilomètres, j’étais fatigué j’ai mis mon sac dans la voiture et je la suivis, nous arrivâmes à 4 heures du matin par des chemins abominables à Levier autre chef-lieu de canton je couchai au poste il n’y avait pas de logement pour le moment. Le lendemain on n’avait pas de pain on nous donnait du biscuit et du lard j’entrai dans une maison et je demandai si l’on ne pourrait pas me faire cuire mon lard on me dit que si, je le mis dans la marmite au bout de deux heures je revins ils n’avaient pas de pain dans la maison il me fallait manger mon lard avec le biscuit pour souper je t’assure que la faim ferait manger des pierres moi qui n’aimait pas le lard chez moi je le mangeai là non pas avec du pain mais avec du biscuit dur comme des rochers.
Le lendemain nous partons à 5 heures du matin rien dans le ventre dans la neige jusqu’aux genoux nous arrivons dans un petit village nommé Censeau après avoir fait 35 kilomètres. Il était 7 heures du soir on nous met 60 dans une ferme nous faisons cuire la viande comme nous pouvons et nous couchons tous habillés dans la paille. Le lendemain départ à huit heures nous faisons 38 kilom. toujours dans la neige il fallait faire le chemin soi même parfois s’arrêter pour laisser passer de la cavalerie, c’était un martyre que nous endurions. Tu dois être étonné que je supportais tout cela mais il faut te dire que je n’avais plus revu mon sac depuis Levier je me trouvais par bonheur sur moi une paire de bas en arrivant je quittais ceux que j’avais au pied et je prenais les autres pendant la nuit l’autre paire se séchait. Les bagages ont été coupés par l’ennemi et mon sac ainsi que les malles des officiers on restés entre les mains des Prussiens. S’il m’avait fallu toujours garder cette malle sur le dos j’aurais tombé en route bien heureux d’en être quitte comme cela.
Mais nous n’avions encore rien vu partis de Censeau nous arrivons dans un pauvre village au milieu des rochers bien autres que ceux de la Vacherie on ne pouvait pas tous nous loger on nous envoie 3 kilom. plus loin nous étions éreintés nous couchons là le lendemain nous repartons à 8 heurs du matin nous allons à St Laurent chef-lieu de canton petite ville toute neuve elle avait complètement brulé il y a 4 ans l’étappe n’avait pas été faite nous n’avions fait que 15 kilomètres. Nous partons le lendemain pour Clairvaux qui est à 26 kilom. En route un gendarme apporte une dépêche qu’il faut partir de suite doubler l’étape les Prussiens étaient là, il fallait se sauver sans les voir nous n’avions pas de cartouches c’est honteux pour nous mais nous étions obligés de faire ce que le Général qui nous conduisait commandait.
Nous faisons encore 16 kilomètres nous arrivons à Orgelet esquintés nous avions fait 42 kilomètres toujours dans la neige. Le lendemain nous partons à huit heures nous faisons 28 kilomètres nous arrivons à St Amour là nous sommes sauvés nous apercevons la terre nous quittons la neige. Nous couchons à St Amour et le lendemain nous arrivons à Bourg [en Bresse]. Là pas de logement il y avait déjà des troupes on veut nous faire camper, enfin on se décide à nous mettre 3000 dans l’église de Brou.[Monastère Royal de Brou]. Lorsque je vois cela je pars j’entre dans plusieurs maisons pour demander des logements il n’y en a pas enfin une vieille dame nous reçoit elle a son fils qui est parti, elle nous dorlote nous fait chauffer manger et coucher dans un bon lit j’étais avec Roux nous nous croyions au paradis. Nous avons resté là deux jours et trois nuits. Un beau matin on nous fait partir pour Pont d’Ain, là on nous détache on nous envoie à Neuville sur Ain nous avons resté là deux jours nous y buvions du bon vin et nous nous reposions il y avait de bien braves gens.
Nous repartons de là et nous arrivons à Meximieux je suis logé chez des sœurs maristes elles nous font la soupe nous on blanchis raccommodés enfin nous sommes très bien. Pour moi qui n’avait rien pour me changer j’ai touché une paire de souliers deux chemises de flanelle et un tricot avec deux mouchoirs que j’ai achetés et que les sœurs m’ont ourlé. Je me trouve assez épuisé on m’a donné un sac qui a fait la campagne du Mexique je suis maintenant un véritable troubade, tu diras je te prie chez moi quand tu les verras que je ne veux rien qu’ils m’envoient en fait de linge pour la victuaille je ne dis pas non je ne fais que manger tout le jour l’air des montagnes m’a mis en appétit.
Adieu cher amis écrit moi vite donne moi de tes nouvelles de celles de ta famille ainsi que de tous nos amis car je pense que tu as du aller à Chabeuil.
Ton ami Henry
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Message par Menuiziebihan Sam 29 Nov - 4:56

Emouvant , prenant aussi, et cet intéressant parallèle avec la description que Marc Bloch fait des déplacements de troupes, pour ne pas parler d'errements, en 1940 dans l'Etrange défaite.
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Message par MdeB Dim 30 Nov - 8:04

Touchant d'authenticité. C'est très émouvant de sortir des livres d'histoire pour rencontrer "une vraie personne", un vrai visage, une voix que l'on entend avec ses mots.

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Message par Menuiziebihan Dim 30 Nov - 8:11

Ce qui m'a frappé, comme nombre de lettres de ce type que j'ai pu lire , venant de soldats de 1970 ou de 14-18, c'est la qualité et le niveau de l'expression écrite, si on se pose la question de la chute du niveau d'éducation, tant dans l'expression écrite que la formalisation et articulation des idées ou la capacité narrative, on a là des exemples des plus frappants bu nombre de marches que l'on a dévalées.
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Message par Patrice Dim 30 Nov - 18:06

Bien d'accord avec vous deux. L'histoire, la grande, ramenée à l'échelle de l'individu est souvent passionnante. On accède à une vérité particulière que ne donnent pas les manuels d'histoire. Par exemple la souffrance, la honte, la bêtise des ordres, etc. Je suis également séduit par la qualité narrative et même l'orthographe que j'ai respecté. Pourtant, apprenti pâtissier à l'époque il n'avait pas beaucoup d'instruction. J'ai découvert -c'est curieux - qu'il s'était mis à la sculpture sur ses vieux jours. Voici sa photo:


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