Mathias Malzieu - La Mécanique du coeur

Je n'ai pas pu voir, récemment, l'adaptation cinématographique, du roman de Mathias Malzieu. Mais l'affiche et les PLV qui fleurissaient à l'Ariel Centre ville m'ont rappelé un beau moment de lecture autour de La Mécanique du coeur, sorti en 2007 et édité chez Flammarion.

S’il garde le ton lyrique et la force imaginative de son premier roman Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi, ce livre puise son originalité dans un traitement poétique et émouvant de valeurs et thèmes pourtant rebattus.
L’histoire est celle d’un enfant écossais de la fin du XIXième siècle, prénommé Jack, qui par malchance naît le jour le plus froid du monde. Chétif et fragilisé par l’abandon de sa mère, il se trouve vite condamné en raison d’un cœur congelé. Le docteur Madeleine, qui l’a recueilli, sauve la vie du bambin en lui transplantant une horloge en lieu et place de l’organe. L’enfant, qui ne va pas tarder à se laisser charmer par une chanteuse de rue, survit mais doit promettre de ne jamais connaître l’émoi amoureux sous peine de mourir.

Sans jamais céder à la facilité qu’offre la simplification poussée de certains contes (car c’en est bien un), Mathias Malzieu utilise la schématisation des personnages pour mieux la pervertir et la dépasser. Peu nombreux, ils sont appelés à évoluer, à disparaître puis réapparaître au fil du récit, en même temps qu’ils gagnent en consistance psychologique et saisissent le lecteur par leur complexité fraîchement acquise. A cet égard, la jeune chanteuse bohémienne, Miss Acacia, dont s’éprend le jeune homme, constitue un personnage riche et surprenant, car l’auteur, tandis qu’il la présente comme insaisissable, farouche et aimante, prend le temps de distiller d’infimes détails qui prennent tout leur sens dans la chute finale et qui donnent à la conclusion désenchantée une consistance réelle.

Ici, nul manichéisme. Si les bons sentiments ne sont pas absents, et même oppressants dans les premiers chapitres, Malzieu tente de ne pas opposer les bons aux méchants mais d’insister sur la caractère complexe et vertigineux de l’amour, apte à attiser folie et haine dans l’âme la plus saine… en apparence. Ces apparences que le jeune homme tente constamment de sauver pour se protéger du regard des autres, mais qui hélas pour lui, ne trompent personne : le tic tac continuel qui germe de sa poitrine suffit à l’identifier et à l’isoler du reste des enfants, pour mieux le soumettre à leurs brimades, dont la brute épaisse Joe constitue l’avatar le plus violent. Cet éloge du droit à la différence est aussi une mise en perspective des revers qu’elle sous-tend, même si Jack y puise paradoxalement sa force et n’hésite pas à s’en servir pour courtiser Miss Acacia.
Le thème du jeune homme qui part à la recherche de l’aimée, lié au culte du droit à la différence, les deux pivots du conte, semblent de prime abord réchauffés. Ce serait alors malicieux de la part de l’auteur d’avoir, dans cette optique, sciemment enveloppé ces thèmes du froid terrible de l’Ecosse, de cette neige pailletée omniprésente et si finement décrite que le lecteur finit par l’épouser. Au-delà de ces considérations météorologiques, les thèmes éculés qu’il traite trouvent dans La mécanique du cœur une saisissante actualité et une fraîcheur séduisante, parce que l’auteur prend le parti de dresser un tableau sincère narré par le personnage principal, tableau qui ne cède jamais à la mièvrerie ; ensuite et surtout parce que son écriture est sans complaisance vis-à-vis de ces personnages qui s’acheminent tous vers le néant, comme si l’initiation vécue par le héros n’était autre qu’une errance sans autre fin que la solitude puis la mort.
L’initiation ne se fait jamais évolution, elle est retour en arrière, repli sur soi et prise en compte des exigences insupportables de l’amour : tel semble être le message du conte, s’il en est un.

En permettant à son héros de découvrir le sentiment amoureux pour mieux le perdre, en peignant un personnage sans cesse tiraillé par un passé qui l’oppresse et le handicape, en donnant vie à un cortège de personnages savoureux mais impuissants à guider le héros dans sa recherche de l’amour, somme toute en montrant qu’après avoir connu les richesses du partage et du bonheur tout disparaît si vite comme par magie, cette magie poudrée qu’il répand dans toute son œuvre, Mathias Malzieu montre, dans La mécanique du coeur que paradoxalement tout cauchemar naît d’un rêve.

Bonne lecture !
CV