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Le petit cercle des anxieux (histoire à suivre)

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Le petit cercle des anxieux (histoire à suivre) Empty Le petit cercle des anxieux (histoire à suivre)

Message par Menuiziebihan Mar 29 Juil - 13:55

C’était dans l’arrière-cour d’une rue assez peu fréquentée du centre de Paris. Les grands boulevards n’étaient pas loin, tout de lumière, de vrombissement et de foules pressées. Il fallait quitter cette artère bruyante par une rue à droite , longer quelques commerces colorés et bon marchés, slalomer entre des poubelles largement ouvertes sur leur contenu nauséabond, enfin au premier carrefour reprendre à droite, nous étions parallèle avec les grands boulevards mais  loin des échos de leur circulation. Le porche s’ouvrait sur un passage sombre, tel un tunnel qui débouchait sur un puits de lumière inattendu : la cour. C’était peut-être une atelier qui avait connu des heures plus glorieuses d’activité industrieuses, ou une remise, le local était installé dans un petit bâtiment, sorte d’appentis, parallélépipède sans charme ni grand intérêt dont la fenêtre unique donnait sur la cour.  Le curieux pouvait regarder à l’intérieur et découvrir d’un seul regard le sobre décor, constitué essentiellement de chaises de jardin en plastique qui étaient posées en cercle. Les murs étaient peints en blanc, la lumière du jour tombait du toit en passant à travers une plaque ondulée translucide, aucune décoration n’égayait les murs, fonctionnels et glaçant.
 
Les inévitables angoissés de la ponctualité faisaient déjà le pied de grue dans le hall qui menait à la cour, la porte de la salle de réunion était fermée, un nouvel arrivant les rejoint, les salua et peut-être pus curieux que les autres alla regarder par la fenêtre ce qu’il en était, d’autres le nez en l’air regardaient la  cour, observant chaque fenêtre chaque étage, de temps en temps des regards se croisaient, parfois un sourire échangé, furtif , hésitant, puis on reprenait l’observation des murs, de tout ce qui n’avait pas de regard ou de bouche. A l’heure dite la porte s’ouvrit, l’animateur les invita à entrer.  Il n’était pas très grand, une taille un peu en-dessous de la moyenne, mince, une tenue de couleur assez neutre, plus ou moins à la mode, une sorte de New edge bon marché, ses cheveux, légèrement bouclés, mi-longs, étaient  brossés vers l’arrière, le front largement dégagé, c’était bien vu, mais cela accentuait l’aspect un peu pointu du visage, on ne peut pas tout avoir. Il s’exprimait d’une voix douce qui, sans doute le pensait-il, correspondait  son rôle d’animateur et son statu de coach ? Peut-être regrettait-il son évidente absence de charisme, mais nul dans le petit groupe ne songea à le lui faire remarquer, sans doute manquaient-ils de référence.
 
Tous les âges étaient représentés, in sentait le même bagage de frustrations qui réunissait, sans les rassembler, cette assistance d’un soir. Une blonde élégante, qui portait assez sa cinquantaine finissante, côtoyait sans gène apparente une trentenaire une peu ronde, d’apparence passe-muraille et qui d’ailleurs n’avait pas investi beaucoup de temps ni d’argents,  dans sa tenue vestimentaire, l’ensemble aurait pu paraître bariolé si les couleurs n’avaient pas fané vivant assez mal les passages successifs et répétés au lave-linge, durant la soirée elle essaiera à sa manière de sortir de lot par des interventions nombreuses et affirmées. Curieux comme beaucoup tendent à croire que la voix donne à l’homme cette existence sociale  que la nature semble ne pas vouloir lui accorder.
 
Chacun était arrivé avec son petit sac de misère humaine, de fardeau quotidien qui à la longue leur donnait un aspect un peu voûté, la blonde élégante semblait résister assez bien à cet affaissement du lombaire, une belle antillaise y faisait face aussi avec un évident succès, le reste avait la même attitude courbée, perdu d’avance devant les embûches de la vie.
 
Aucun ne s’était fait la remarque que sans ses fardeaux sous le poids il pliaient régulièrement, leur vie même aurait perdu les quelques reliefs dont leur banale existence pouvait se parer. Inconscient  d’arborer comme autant de médailles ou stigmates vénérées, les quelques blessures que les aléas de la vie avaient pu imprimer dans leurs âmes si fragiles.
 
L’animateur était là pour leur dire combien tout cela était réel, combien étaient justifiées et même sacrées, leur souffrance, leur mal-être, d’autant plus justifié d’ailleurs qu’ils avaient payé pour cette séance  pendant laquelle il allait leur expliquer de sa voix douce et lente comment s’en détacher.
Chacun allait avoir l’occasion de faire part de ses épreuves, de la puissance de sa douleur, de son insupportable solitude, de dette injuste incompréhension qui les entourait.
 
Il accueillerait du même hochement de tête chaque remarque, chaque histoire, chaque désespoir exprimé. Il incarnerait par son regard compatissant toute la bienveillance que le monde dispensait si chichement à leur égard et que lui seul à cet instant savait si généreusement dispenser.
 
Entre temps il aura pu leur expliquer son propre parcours, son cheminement personnel dans la voie de la médiation, faite d’intériorité, de démarche initiatique et de maître respecté.  Chaque mot raisonnait aimablement aux oreilles de l’assistance, c’était la personne de circonstance, tout en lui dans son apparence, sa voix, son histoire succinctement mais aimablement relatée avec les mots qu’il fallait, les ancraient d’avantage, si c’était nécessaire, dans la certitude partagée qu’ils étaient face à la personne idoine, la clef humaine à leur personnalité étiolée.  L’animateur voyait avec satisfaction la propagation de cette onde de sympathie, bénéfice de son discours qui compensait avec un certain succès la jeunesse évidente de son auteur.
 
Chacun eut l’occasion de partager ces avanies que la vie leur avait réserves, la blonde élégante, parla avec sobriété mais non sans précision de ses peines de cœur, il était assez curieux de la voir défiler le fil de son histoire : elle avait passé l’âge des enthousiasmes juvéniles, elle avait  remonté les cheveux en un chignon assez simple, ce n’était pas strict mais il n’y avait là aucun laisser-aller. Elle relata avec sa voie douce en un vocabulaire courant mais qui sonnait avec sophistication une histoire sommes toutes assez classique qui comme toue ces histoires ne trouvait pas de point final, ni chez l’un , ni chez l’autre, elle le vivait mal, c’était certain, mais n’en parlait pas comme d’un drame, s’excusant presque de prendre notre temps avec ces petites avanies de la vie. Son voisin ne s’économisa pas dans la même sobriété, l’audience était appelé à compatir, un peu d’ostentation semblait la bienvenue. Il y a parfois des moments ou la discrétion est une forme d’élégance.
 
Mais la plus entendue, si ce n’est la plus écoutée, fut, sans conteste, celle à la tenue un peu usée, elle se tenait droite sur sa chaise, ses larges sandales bien posées sur le sol, tout chez elle exprimait l’évidente vacuité de son existence. Un rien paranoïaque mais sans grande imagination elle narra par le détail tout ce quotidien qu’elle vivait comme autant d’agression, sa vie amoureuse ne devait pas peser lourd car elle n’en dit rien. Mais elle sut compenser avec bonheur cette lacune, par diverses anecdotes sur l’évidente et incessante inimitée à laquelle elle était confrontée quotidiennement, et particulièrement dans sa vie professionnelle dont on comprit vite qu’elle était à l’image de son apparence : sans intérêt. Peu soucieuse de discrétion elle fit part de ces différentes expériences en matière de  somnifères, antidépresseurs, anxiolytiques et autres psychotropes,  l’animateur n’y trouva rien à y redire, il n’était pas médecin,  impressionné sans doute, curieux certainement, devant ces dosages à l’estime qu’elle décrivait avec plaisir et détail. Elle était prolixe, elle était le centre d’intérêt. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Elle avait des comptes à régler, toutes ces avanies réelles ou supposées que ses ennemis, nombreux et quotidiens, lui faisaient subir, elle s’en plaint comme autant d’épreuves, de sa voix dolente elle déroula la litanie, cela aurait pu faire sourire, nul n’y songea.
 
La séance s’écoula ainsi au même rythme de mal-vivre partagé, ponctué de quelques exercices, la chose consistait pour l’essentiel à des mouvements de respiration, une sorte d’accéléré de court de yoga pour les Nuls, La voix douce, au rythme lent, de l’animateur récitant consciencieusement son petit texte, un  mantra un peu verbeux, mais  qui lui donnait sans doute l’impression d’imiter avec bonheur les gourous inspirés qui l’avaient précédé avec succès dans cette profession.
 
Une horloge était accrochée au mur, de temps l’animateur y jetait un  regard, la séance s’approchait de la fin, il fallait terminer en beauté. A un moment  donné, il fit appel à l’imagination de son audience, ceux-ci avaient montré, en tout cas pour quelques-uns, qu’ils ne  semblaient pas en manquer, la suite devait le confirmer.
 
Chacun devait s’imaginer le long d’une rive, avec à ses cotés un sac de jute, le détail un rien exotique, tendance développement durable, devait sans doute être d’importance, ce sac était rempli de cailloux, de gros cailloux, noirs, l’animateur insista lourdement sur ce point, d’ailleurs il revint plusieurs fois sur chaque mot, chaque élément, de cette même voix presque murmurée qui essayait sans doute aussi d’être un peu hypnotique, il avait eu quelques formations sur la méthode. L’histoire continuait, il fallait imaginer ensuite une péniche qui s’approchait puis accostait, une fois la chose faite chacun devait se saisir de son sac de jute plein de cailloux et le porter jusqu’à la péniche, l’y déposer et revenir sur le bord pour regarder la péniche partir. La narration faite l’animateur dura bien sûr plus longtemps que ce que je viens de vous en dire, des fioritures, des détails,  des répétitions, tout ceci débité dans un doux murmure qui espérait être suggestif et visait sans doute à inspirer son audience. Celle-ci ayant d’ailleurs les yeux fermés, nul ne prêta  attention sur le fait qu’il lisait un texte photocopié, ce qui aurait pu nuire à l(image de professionnalisme , d’expérience et de maîtrise qu’il était censé donner. L’assistance était concentrée sur cet exercice d’imagination et il ne serait venu à l’esprit de personne de briser cette belle harmonie méditative par des interrogations hoirs de propos et de toute façon superflues.
 
Il laissa passer un instant de silence puis rappela chacun à la réalité de la salle de réunion.  On ouvrit les yeux, chacun se regardant un peu, rapidement. Il fallu exprimer ou expliquer ce que l’on avait ressenti. Les réponses furent unanimes : nous étions rentrés dans un monde béatement émotionnel ou le cartésianisme même le moins affirmé n’avait pas sa place. Certains firent état de quelques embarras dans l’exécution du scénario qui leur avait été suggéré. Quelques uns regrettèrent de na pas être parvenus à soulever le sac de jute, d’autres n’avoir pu quitter la péniche et quelques rares à ne pas l’avoir vu s’éloigner et disparaitre à l’horizon. Bref chacun, à sa façon, avait donné corps avec sérieux er conviction, à ce petit texte dactylographié, lu un soir d’été dans un coin du IXéme arrondissement, par une jeune homme qui essayait de faire du coaching son gagne-pain quotidien.
 
Après cet épisode de happening d’autosuggestion, l’animateur donna la signal du départ, en tout cas s’y essaya. Cependant comme ni son rythme, ni sa voix, ni même sa sémantique ne venait illustrer de façon claire et indiscutable ce point final qu’il voulait mettre, personne ne bougea, chacun continuant à discuter ou de la péniche ou de son mal de vivre. Enfin l’un d’eux finit par se lever, ce qui donna le signal de départ pour les autres.
 
On se quitta avec le sourire aux lèvres, chacun exprimant à sa façon le calme et la plénitude que cette séance leur avait apportée. L’un d’eux s’éloigna rapidement, il avait le lendemain in rendez-vous important avec son patron, il était à court d’argent, des fins de mois difficiles, un réfrigérateur presque vide, il avait dépensé son budget du loto dans cette séance. Les poches légères de pièces et vides de billet, il avait depuis peu rejoint le rang des resquilleurs du métro. Il sauta le tourniquet avec un peu moins de honte que la veille mais le même pincement au cœur. Le destin n’était pas philosophe : il tomba sur un contrôle, sa sérénité s’étiola assez vite, le ton monta, pourquoi porta-t-il ce coup ? La nuit au poste lui laissa tout le temps de repenser à sa séance dont il avait gouté si brièvement le bénéfice.
 
L’élégante quinquagénaire rentra plein d’entrain, elle allait pouvoir mettre fin à cette histoire qui au fil des jours et des mois étaient devenues sordides et désespérées, en approchant de son immeuble elle vit la voiture garée de l’autre coté de la rue, il était là elle le devinait sans l’ombre, elle sentait son regard. Il ouvrit la porte elle resta immobile à l’entrée de l’immeuble, tel un lièvre hypnotisé par les phrase d’une voiture, ll la rejoint , lui dit qu’il l’attendait depuis des heures, lui demandait où elle était passée, se fit exigeant, rude, instinctivement elle leva son bras pour se protéger d'un coup qui ne vint pas, l’histoire continuait.
 
La plus loquace de l’assemblée ne fut pas la plus rapide à partir, au désespoir évident de l’animateur, elle resta encore pour relater ses expériences de méditation qui l’avait aider à faire face aux frustrations nombreuses que réservaient son travail de fonctionnaire, simple rouage ni essentiel ni nécessaire, ignorée de sa hiérarchie dans son coin de fenêtre dans un bureau triste et isolé au fond d’un couloir au linoléum usé, matricule perclus de frustrations qui distrayait son ennui dans ses jalousies supposées qu’elle imaginait nichées dans chaque collègue.
 
L’animateur lui dit de la façon la plus aimable et conciliante qu’il trouva qu’il était hélas obligé de mettre fin à ce passionnant échange car il se faisait tard et que n’est-ce pas… Elle se montra désolée de prendre de son temps mais expliqua que le sujet était tellement passionnant et était pour elle une telle source de sérénité, bref il dut, avec regret, lui fermer la porte au nez et éteindre les lumières de la pièce pour enfin l’entendre traverser le hall et quitter l’immeuble. A taton il se dirigea vers la remise qui servait aussi de bureau, regarda ses messages, une bonne vingtaine étaient venus remplir sa messagerie depuis le début de la séance, mais aucun ne l’intéressait réellement, seul comptait celui qui était absent, celui qu’Il ne lui avait pas envoyé, pas plus qu’il n’avait reçu de SMS ou d’appel de Sa part. Ce silence durait depuis plus d’un mois, chaque jour cette absence l’usait un peu plus, toute à l’heure il avait presque s’agripper à la chaise pour ne pas se jeter sur cette idiote qui l’épuisait avec ses vaines histoires de bureau sans intérêt. Encore une fois, incapable de résister, de se maitriser, il l’appela, pour arriver, comme d’habitude, sur son répondeur, il hésita, comme de plus en plus souvent ces derniers jours, commença hésitant, implorant, monta dans la colère, s’effondra dans les pleurs et raccrocha, un peu plus désespéré que la veille. Il ferma son ordinateur, et d’un pas trainant quitta le local, il n’habitait pas très loin, sur le chemin du retour, il y avait un café, il était ouvert tard, il y avait ses habitudes, le patron le salua, il l’avait vu arriver, le whisky ne fut pas long à lui être servi, d’autres suivront.
 
Plus tard dans la soirée se souviendra-t-il de cette femme qui avait si peu parlé, aux cheveux fins et un peu clairsemés, elle avait la teint très clair, pâle, le traitement faisait mauvais ménage avec le soleil. Elle avait écouté un peu tout le monde, c’était pliée consciencieusement aux différents exercices de respiration et de visualisation, mais les cailloux étaient toujours là, l’enveloppe des résultats trainait sur la table, elle avait vu le médecin deux jours avant, aucune surprise, enfin peut-être si un peu, on se prend parfois à espérer. Elle regarda les comprimés, quand l’autre avait parlé de son butinage dans sa petite pharmacopée, elle avait souri. Pourquoi être allé à cette réunion ? Elle ne saurait le dire, se changer les idées ? Voir des biens portants ? Espérer quelque chose comme une réponse ? Peut-être un peu tout cela. La maladie évoluait, le médecin lui avait promis qu’il l’aiderait quand il faudrait, elle savait qu’elle pouvait compter sur lui mais elle ne voulait pas attendre les premiers signes , l’hôpital, les perfusions, inévitables, non autant devancer tout cela, pourquoi vouloir grappiller quelques mois inutiles et vides ?
 
Le lendemain après-midi la femme de ménage passa, c’est elle qui prévint les secours, ils ne mirent pas longtemps à arriver mais la nuit était déjà passée par là.
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