Printemps 96, extrait
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Printemps 96, extrait
Nous allons tous les deux dans ton atelier. Tu es heureuse de me montrer ta dernière toile. Dernière alors ne signifie pas encore vraiment dernière. Elle n’est pas tout à fait terminée. Il reste à peindre les mains, la canne… Tu as peur déjà de ne pas trouver l’énergie pour terminer. Tu t’en inquiètes, m’en parle et je me moque de toi. « C’est fatiguant, tu sais, de rester debout devant la toile… » . Je sais. Tu repars en me montrant que tu peux marcher sans tes béquilles. Coquetterie. Mais je vois sur ton dos la fatigue énorme qui t’accompagne.
Deux semaines se sont passées lorsque je reviens. Tu es assise dans ton fauteuil. Sourire et larmes dans les yeux. Tu n’as presque plus la force de te lever. On t’aide à t’installer à table. Conversations fausses, maladroitement enjouées. Bonne humeur forcée. Il y a avec nous à table cet invité indésirable, invisible et tellement présent. Il semble avoir gagné la force que tu as perdue. Il se nourrit de ton corps qui disparaît peu à peu.
Pourtant dans cet amenuisement, tu deviens le centre de toutes choses. Lui qui t’a brusquée toute ta vie est attentif à tes moindres désirs. Il lit tes gestes, tes envies. Il prépare mille petites choses pour toi. Tu remercies du regard. Tu n’as plus beaucoup de force pour les mots.
Il fait beau mais froid. Tu hésites à faire la traversée jusqu’à l’atelier, mais tu veux me montrer que tu as terminé la toile. Tu me parles des mains que tu as voulu peindre rugueuses « comme de l’écorce ». Tu te souviens à haute voix de ses mains à lui après qu’elles aient beaucoup travaillé : « elles étaient belles dans leur rugosité ».
Deux semaines se sont passées lorsque je reviens. Tu es assise dans ton fauteuil. Sourire et larmes dans les yeux. Tu n’as presque plus la force de te lever. On t’aide à t’installer à table. Conversations fausses, maladroitement enjouées. Bonne humeur forcée. Il y a avec nous à table cet invité indésirable, invisible et tellement présent. Il semble avoir gagné la force que tu as perdue. Il se nourrit de ton corps qui disparaît peu à peu.
Pourtant dans cet amenuisement, tu deviens le centre de toutes choses. Lui qui t’a brusquée toute ta vie est attentif à tes moindres désirs. Il lit tes gestes, tes envies. Il prépare mille petites choses pour toi. Tu remercies du regard. Tu n’as plus beaucoup de force pour les mots.
Il fait beau mais froid. Tu hésites à faire la traversée jusqu’à l’atelier, mais tu veux me montrer que tu as terminé la toile. Tu me parles des mains que tu as voulu peindre rugueuses « comme de l’écorce ». Tu te souviens à haute voix de ses mains à lui après qu’elles aient beaucoup travaillé : « elles étaient belles dans leur rugosité ».
Re: Printemps 96, extrait
Ce très bel hommage est aussi profondément émouvant, avec le souci du mot juste.
Merci, Patrice.
Merci, Patrice.
CV- Messages : 68
Date d'inscription : 14/03/2014
Localisation : Vertuville
Re: Printemps 96, extrait
Tes mots lui donnent présence...
Merci,
Aziz.
Merci,
Aziz.
Azed- Messages : 28
Date d'inscription : 13/03/2014
Re: Printemps 96, extrait
Une bien joli texte, qui émeut, quand les mots expriment sans dire, quand au détour d’une phrase l’histoire qui fut, rejoint celle qui s’achève, quand l’émotion qui fait de nous humains, s’impose par delà le train des lettres, quand la douleur exsude de chaque ligne sans effusion ni close de style, et sait se cacher derrière une fausse douceur, par delà les larmes on se dit elle a vécu.
Re: Printemps 96, extrait
Merci à tous, vos mots me vont droit au cœur. En effet l'émotion reste présente dix huit ans après ce printemps... moments forts où se logeaient parfois des instants parfaits. Un peu plus loin dans ce texte j'écrivais:
"La terrasse est ensoleillée et je t’ai installée dans un fauteuil, face au jardin. Tu as mis tes lunettes de soleil panoramiques, comme celles des coureurs cyclistes. La température est idéale, avec juste une petite brise, comme une caresse. Tous, nous sommes autour de toi, attentifs à ton plaisir, à tes sensations. Tu dis : « c’est la plus belle journée de ma vie… ». Chaque petite risée te fait t’extasier : « comme c’est bon ». Le printemps nous enveloppe de ses odeurs, chassant le tragique. Nous sortons ton dernier tableau pour le photographier avec toi. Tentative pour fixer cet instant de bonheur presque parfait. Dans l’objectif, tu me regardes en souriant avec, derrière toi, un peu flou, le tableau de l’homme qui se repose sur un banc. Pression sur le déclencheur. Arrêt du temps !"
"La terrasse est ensoleillée et je t’ai installée dans un fauteuil, face au jardin. Tu as mis tes lunettes de soleil panoramiques, comme celles des coureurs cyclistes. La température est idéale, avec juste une petite brise, comme une caresse. Tous, nous sommes autour de toi, attentifs à ton plaisir, à tes sensations. Tu dis : « c’est la plus belle journée de ma vie… ». Chaque petite risée te fait t’extasier : « comme c’est bon ». Le printemps nous enveloppe de ses odeurs, chassant le tragique. Nous sortons ton dernier tableau pour le photographier avec toi. Tentative pour fixer cet instant de bonheur presque parfait. Dans l’objectif, tu me regardes en souriant avec, derrière toi, un peu flou, le tableau de l’homme qui se repose sur un banc. Pression sur le déclencheur. Arrêt du temps !"
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