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A Rebours, JK Huysmans

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Message par CV Jeu 31 Juil - 12:46

1884

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A rebours est un roman à part, dans la littérature et dans l’œuvre de Joris-Karl Huysmans. Il s’éloigne en effet de ses précédentes œuvres naturalistes pour proposer un véritable manifeste, une authentique profession de foi décadentiste.

Ce roman singulier ne comporte pas d’action, pas même d’intrigue.
Il est tout entier centré sur un seul personnage, Des Esseintes.
A la même période, Zola publie le roman La joie de vivre, titre antiphrastique pour parler de la névrose et de la peur de la mort… Des Esseintes lui-aussi est un névrosé morbide mais là où Zola dépeint ses personnages pour en faire le procès, ici, Huysmans semble s’identifier aux  penchants de son personnage.
Des Esseintes est peut-être « anormal », anticonformiste, misanthrope, il n’en reste pas moins terriblement attachant.

Des Esseintes a essayé toutes les perversions, toutes les débauches sans jamais venir à bout de cet ennui qui l’accable. Il décide de se retirer dans une petite maison achetée à Fontenay-aux-Roses qu’il décore selon sa fantaisie et ses goûts bizarres.
Trois couleurs dans son intérieur : le rouge, le jaune et l’orangé. Aucune autre.
Il a posé sur la cheminée, recopiés en lettres de missel, avec de splendides enluminures, entre deux ostensoirs de style byzantin, trois poèmes de Baudelaire : La mort des Amants, L’Ennemi et Anywhere out of the world.
Il vit dans la plus complète solitude et prend ses repas à 17h, puis à 23 h et enfin à 5h du matin. Il dort le jour, vit la nuit. C’est un parfait original : il a aménagé la salle à manger en cabine de navire et se donne, par les jeux du décor et de son imagination, les sensations d’un voyage, sans bouger de place. Des Esseintes aime se réfugier dans les livres. Il est au terme de sa vie, il sait combien cruels sont les hommes. Il refuse de se promener sur les routes de peur de rencontrer les bourgeois qu’il déteste :

« Il flairait une sottise si invétérée, une telle exécration pour ses idées à lui, un tel mépris pour la littérature, pour l’art, pour tout ce qu’il adorait, implantés, ancrés dans ces étroits cerveaux de négociants, exclusivement préoccupés de filouteries et d’argent et seulement accessibles à cette basse distraction des esprits médiocres, la politique, qu’il rentrait en rage chez lui et se verrouillait avec ses livres. Enfin, il haïssait de toutes ses forces les générations nouvelles, ces couches d’affreux rustres ».

Il retrouve ses livres avec bonheur. Bibliophile, il a le goût des reliures extraordinaires, il entreprend de les ranger, il aime les livres uniques, aux caractères insolites.
Baudelaire est son auteur favori, viennent ensuite : Bourdaloue, Bossuet, Nicole, Pascal, Ernest Hello, Barbey d’Aurevilly. Il préfère chez Flaubert La Tentation du Saint Antoine à l’Education sentimentale. Gravement malade, amaigri, Des Esseintes doit quitter, sur ordre du médecin, sa maison de banlieue pour rejoindre Paris, quitter cette solitude… Il est dégoûté par le monde tel qu’il va, l’argent a tout envahi, même l’Eglise n’est pas à l’abri de la corruption.
Au moment où les déménageurs emportent les derniers livres de la maison déserte, il s’écrie :
« Dans deux jours je serai à Paris ; allons, tout est bien fini ; comme un raz de marée, les vagues de la médiocrité humaine montent jusqu’au ciel et elles vont engloutir le refuge dont j’ouvre, malgré moi, les digues ».


Dans sa préface à la réédition de 1903, Huysmans a reconnu qu’avec ce livre, il a consommé la rupture avec le naturalisme
« Je cherchais, vaguement, à m’évader d’un cul-de-sac où je suffoquais, mais je n’avais aucun plan déterminé et A Rebours qui me libéra d’une littérature sans issue, en m’aérant, est un ouvrage parfaitement inconscient, imaginé sans idées préconçues, sans intentions réservées d’avenir, sans rien du tout. »
Dans le roman de Huysmans, pour la première fois, la perspective est renversée ; on ne juge plus une subjectivité malade, délirante selon des critères objectifs et scientifiques. C’est au contraire cette même subjectivité qui s’érige en juge et rejette cette positivité rationnelle qui est au fondement de la doctrine naturaliste de Zola. A rebours, plutôt que la négation de la doctrine de Zola, serait le révélateur des contradictions qui n’avaient cessé de miner celle-ci.

Le tarissement des sujets des romans naturalistes l’a amené à composer un roman quasiment sans sujet.
Il est difficile d’aller plus loin dans le contrepied délibéré de toutes les règles du genre romanesque, provocation avouée dans le titre même de l’œuvre, que Huysmans ne l’a fait dans A rebours. L’action romanesque est pour ainsi dire inexistante. En prenant pour unique héros un personnage dont la vie est déjà finie, le roman prend pour point de départ une situation qui en elle-même signifie un terme plutôt qu’un commencement. Ainsi, non seulement il se place totalement « à rebours » du naturalisme, mais aussi à l’envers de la démarche habituelle des romanciers traditionnels qui justifient le mouvement de l’intrigue par l’expérience d’un personnage à la conquête du monde et à la découverte du réel. On comprend que Des Esseintes ait renoncé à lire Balzac car l’histoire dont il est le héros inverse exactement le courant qui porte d’habitude le héros balzacien du dedans au dehors. L’intérêt d’A Rebours est au contraire dans la vie intérieure, dans la nourriture du passé, dans un parti pris de renoncement et d’exil.

A rebours précède le décadentisme mais il en contient déjà toutes les orientations, il en est même, à bien des égards, le manifeste. Certes, la décadence renvoie à une fin de siècle, de règne ou de civilisation, ou d’un cycle de l’histoire, mais elle peut également prendre une signification plus vaste, plus haute, traduire l’essence même de la condition humaine.

Le principal apport du livre est dans la proclamation d’une esthétique nouvelle que l’on appelait alors « moderne ». Elle se définit par le refus des règles, des conventions, le goût affiché de la provocation et de l’anticonformisme, la négation de toute référence à une quelconque universalité.
On trouvait déjà chez Baudelaire l’affirmation du principe de singularité individuelle. L’écriture décadente va raffiner, compliquer encore cette recherche de l’ornement qui, par sa gratuité provocante, annule tout recours à un critère moral, signifie la prédominance du détail sur la structure, du moment sur la durée.
Mais c’est surtout la conception même de l’art qui apparente Huysmans à tout un courant, l’un des plus fertiles de la culture de notre siècle, des surréalistes à Julien Gracq ou à Boris Vian en passant par le groupe du grand jeu.

La liberté totale de l’imaginatio
n, le principe esthétique érigé en règle de vie, le mépris de l’ordre établi, la volonté affichée de prendre ses désirs pour des réalités, de préférer le rêve au réel : ces ambitions dessinent une utopie artistique déjà hautement revendiquée par Des Esseintes.
C’est pourquoi tous ceux qui privilégient l’expression, la trouvaille, le hasard, la surprise, la folie visionnaire, plutôt que le contenu rationnel, tous ceux qui sont pour le principe de plaisir contre le principe de réalité se trouveront chez eux avec délice dans la maison baroque de Fontenay qui tangue comme un bateau ivre dans la nuit.
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