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Journée de bonheur

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Journée de bonheur Empty Journée de bonheur

Message par Menuiziebihan Jeu 25 Déc - 22:16

Jour heureux, jour de fête, veille familiale, le matin ne se laisse pas découvrir, froid humide aux crocs émoussés, pavés brillants mais glissant ralentissent le pas dans la rue où chacun s’active à ses préparatifs. On croise le voisin, la vague connaissance, le commerçant. On se salue, on est pressé, affairé, mais convivial. En se quittant on se souhaite de joyeuses fêtes.

Dans la chaleur du café à l’écart des courants d’air, ils échangent les recettes, commentent le temps, se souviennent de certaines veillées, ils étaient enfants ou bien parents, c’est une litanie de repas de Noël, mais aussi d’autres, la table n’a pas de saison. Plus tard dans la journée chacun s’occupera, se préparera, il s’agit d’une fête n’est-ce pas. Les jours d’après, pour la plupart, elle rejoindra le placard des souvenirs, pour d’autres cela n’aura été qu’un mauvais moment à passer, celui où justement on se souvient, où ces instants irrémédiablement passés vous reviennent, moments heureux qui sont autant de grains de sels sur la plaie qui s’est rouverte.

Mais ce sera pour plus tard, pour l’instant le sujet est d’une autre importance : la préparation de l’oseille, il s’agit d’être incollable, on commence par la façon de cueillir la plante, histoire de montrer  qu’on ne fréquente pas que les allées des supermarchés, le petit coté authentique qui fait bien,  il juge inutile d’en remettre sur ses racines paysannes , le message est passé. De la cueillette on passe à la cuisine, quelques touches personnelles : souvenir d’enfance, souvenirs de cuisine. Ce soir ils rejoindront leurs enfants, les cadeaux dans leur jolis emballages sont déjà prêts, ils en parlent un peu mais surtout des petits-enfants, dans la chaleur du café par cette matinée grisâtre sur fond de crachin persistant, ils ont le sourire, ils sont déjà plus tard, au milieu de leur famille, dans la douceur du repas qui se prépare.

La douleur me lance toujours un peu, elle ne se laisse pas oublier, elle me tiendra compagnie ce soir, nous lèverons le verre ensemble. Aujourd’hui il n’y a pas de compte à rebours, rien à anticiper, aucune table à dresser, aucun repas à préparer,  aucun plat à cuisiner, aucune bouteille à ouvrir, aucun paquet à faire, aucun défi  vestimentaire, rien. La journée s’écoulera  au même rythme lent que les autres jours, peut-être un peu plus lent, dans l’impatience que tout cela se termine, enfin.

Le téléphone restera silencieux, c’est sans doute mieux ainsi, les vrais et brefs bonheurs sont parfois autant de sel sur une plaie ouverte
Le café me fera sans doute bon accueil jusqu’à l’heure de la fermeture, probablement plus tôt que d’habitude, c’est à craindre, le patron est brave homme mais il a sa famille, lui aussi, il propose du vin chaud « maison » , c’est écrit en gros à la craie sur le tableau, voilà un  moment de chaleur à partager, à partie de combien de verres tout cela serait déraisonnable, enfin je veux dire d’avantage que cela ne l’est déjà.

Au coin du bar il y a cet homme qui lit le journal, un habitué, lui aussi, de longues dates sans doute, enfin je crois, il est souvent installé avec un café ou une bière, parfois un verre de vin, cela dépend de l’heure et de l’humeur je pense, sera-t-il là ce soir à la fermeture, ce serait bien, je lui offrirai un verre quelque chose de fort qui chauffe bien le ventre, ce sera mon de Noël, une vapeur d’humanité, pas de complicité, juste a douce ivresse d’un verre, un vin chaud « maison » par exemple.

Les heures se traînent, je n’en ai pas encore fini avec le matin, midi me semble encore bien loin.

Faire le tour du marché ? Cà ou autre chose. Il est débordant de volailles, de bourriches, de terrines, tout cela est gras et gourmand, festif à souhait, c’est la journée idéale, ce n’est pas la mienne.

Ce sera Pintade et huîtres ont-ils dit à la table à côté. Pintades et huîtres, quelle formule curieuse, pourquoi pas  huîtres et pintade ? Je me perds en conjecture dans ce débat de préséance, j’en déduis quelques anagrammes, jeu de mots, jeu de lettres, cela met un peu de distance, faute d’indifférence. Je les quitte sur leur débat culinaire qui en suscite chez moi un autre, plus sombre. Aucune envie de rester, décidément je préférais quand ils parlaient de ce type qui est mort il y a quelques jours, un ami ou une connaissance, ce n’était pas clair, en tout cas quelqu’un, le sujet n’avait rien de drôle, c’est vrai, ils avaient d’ailleurs la mine sombre en débitant leur souvenirs à la mémoire de ce brave homme, à ce qu’ils disaient, j’ai même cru d’ailleurs discerner comme un léger trémolo, c’était triste, mais au moins pendant ce temps-là ils ne parlaient de ce soir, de ce bel instant qui verrait la famille réunie autour de la pintade et des huitres, cette gourmandise dans leurs regards et leurs sourire devenaient insupportable.

Je ferai bien le tour du marché, au point où j’en étais. Le crachin est toujours là, collant, une pluie qui ne dit pas son nom, ce temps est hypocrite, c’est un peu de saison. Quelqu’un glisse à sa voisine que la météo a prévu de la pluie, et là de sortir ce dicton un peu suranné : Noël au balcon, Pâques au tison, mais qui donc irait se mette au balcon par ce temps de gueux ?

Tous les café sont ouverts, les clients y font une pose entre deux courses, bien au chaud, bien au sec, je n’ai pas de course, mais je m’y arrêterai à chacun, tel une station sur un chemin qui n’a rien de croix, car au bout il n’y a que le vide, le vide des pièces encombrées de meubles, désertées de vie. Ce vide je ne le connais que trop bien, dans le brouhaha des conversations, malgré le chahut bonhomme des clients qui s’interpellent, par delà le rire goguenard du patron, je l’entends, les conversations s’apaiseront, le patron passera à autre chose, mais le silence lui ne cessera de résonner rebondissant entre les murs et les bibelots, se jouant de la poussière et des rideaux, il n’est pas prêt de s’estomper, il m’attend, invisible, collant, insidieusement il s’impose, ronge tout, la bonheur, l’espoir, l’envie, le gout même. Il prend son temps, la cause est entendue, alors pourquoi se presser.

Il faut laisser sa part à l’espoir, ne pas l’étouffer tout à fait, le laisser vivre, un peu, c’est un chat malin ce silence, ce n’est parce que la souris connaît son sort que le jeu n’a pas sa place.


Dernière édition par Menuiziebihan le Mar 6 Jan - 8:22, édité 1 fois
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Journée de bonheur Empty Re: Journée de bonheur

Message par MdeB Mar 6 Jan - 6:18

J'ai honte Pascal de ne pas avoir lu ce texte plus tôt, honte de ces bonheurs sur invitations privées. Non pas que ce texte soit écrit pour ça mais il résonne... C'est, comme d'habitude, une jolie écriture à laquelle je suis sensible mais c'est un peu comme avoir trouvé une bouteille à la mer, mais trop tard...

Très Amicalement
Martine

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